Recevez Time Out dans votre boite mail

ACAB - All Cops Are Bastards

  • Cinéma
  • 4 sur 5 étoiles
  • Recommandé
ACAB - All cops are bastards
Publicité

Time Out dit

4 sur 5 étoiles

Derrière son titre british (ACAB pour « All Cops Are Bastards »), le premier long métrage de Stefano Sollima plonge dans les méandres d’une société italienne au bord de l’implosion. Pour illustrer son propos, le réalisateur transalpin a choisi de mettre en scène une brigade d’intervention spéciale de la police, équivalente à nos CRS. L’idée éclaboussera sans doute les esprits les plus conformistes, elle apparaît pourtant plutôt ingénieuse : ici les flics sont de pauvres types, confrontés aux mêmes problèmes sociaux et humains que les têtes qu’ils fracassent à coups de tonfa à longueur de journée. L’alcool, la misère, les peines de cœur font également partie de leur intimité, abordée sans tabou ni compassion déplacée. A travers quatre personnages principaux – Cobra, tête brûlée à la violence maladive, un dénommé Negro en pleine crise sentimentale, Mazinga le vieux briscard et le novice Adriano –, on découvre une société rongée par la haine et le rejet de tous par chacun, où seule la fraternité et le repli communautaire semblent pouvoir rassembler (un temps du moins).

Une fraternité érigée au rang de principe premier dans cette brigade, parfois au mépris de la loi qu’elle est censée faire appliquer ; ainsi, de scène en scène, la frontière entre flics et voyous se brouille, et le spectateur ne sait plus bien à quoi s’accrocher. Car Sollima excelle dans l’art de balader son public, d’un faux-semblant (un flic fasciste se frotte à des skins, Negro est marié à une Brésilienne tout en bossant avec des « racistes ordinaires ») à l’éviction de toute morale, comme pour rappeler qu’on se trouve tous dans le même bateau, et que seuls les politiques ont intérêt à diviser (pour mieux régner). D’où l’ambiguïté du film et de ses personnages, contradictoires et dont les actes sont souvent dénués de sens. D’où aussi toute son intelligence, évitant l’écueil d’un happy-end et confrontant le spectateur à des angoisses profondes, autant appelées par les situations à risque auxquelles ces flics sont confrontés que par ses réactions face à cette brigade d’antihéros. Car si la violence est rarement présentée comme nécessaire, ses manifestations n’en demeurent pas moins jouissives. Le parti pris réaliste et la photo parfaite entraînent inexorablement au cœur de l’action, et l’on ne peut s’empêcher d’éprouver de l’empathie pour ces ripoux lors de certaines scènes, notamment celles impliquant des hooligans. Et c’est précisément là que le piège du réalisateur se referme, un peu à la manière d’un Haneke en ce qu’il nous fait désirer un déchaînement de violence contre notre gré (cf. ‘Funny Games’), nous mettant après-coup mal à l’aise.

‘ACAB’ n’évite cependant pas quelques maladresses, comme une bande-son rock plutôt facile (messieurs les réals je vous en conjure, n’employez plus jamais "Seven Nation Army" des White Stripes et "Where Is My Mind" des Pixies) ou des scènes anecdotiques plus dignes d’intégrer les « scènes coupées » en bonus du DVD que le long métrage en lui-même. Hormis ces détails, le film est une réussite autant dans le fond que la forme, la plastique des images répondant parfaitement au propos, jusque dans des scènes d’action musclées et fluides, angoissantes à souhait. Ne vous y trompez pas, on ressort tendu et un brin soufflé d’un tel film, la boule au ventre. Loin d’un cinéma complaisant et tiède, ‘ACAB’ remue son spectateur et appuie là où ça fait mal. Pour notre plus grand plaisir.

> Voir également notre interview de Stefano Sollima.

Écrit par Nicolas Hecht
Publicité
Vous aimerez aussi