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De rouille et d'os

  • Cinéma
  • 4 sur 5 étoiles
  • Recommandé
Metal y hueso
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Time Out dit

4 sur 5 étoiles

Succéder à ‘Un prophète’ n’était pas chose évidente, et malgré l’appréhension légitime qu’on pourrait avoir à retrouver Marion Cotillard, ‘De rouille et d’os’ s’en tire plus qu’honorablement. En fait, on découvre même qu’au naturel, l’Edith Piaf outrancièrement grimée de ‘La Môme’ a un physique intéressant. Pas exactement belle, Cotillard a un visage presque banal (qui convient parfaitement au réalisme acharné d’Audiard), qu’elle sait rendre étonnamment expressif et touchant.

Ici, elle interprète Stéphanie, dresseur d’orques au Marineland d’Antibes, qui, blessée pendant un spectacle, se retrouve amputée de ses deux jambes. Pas glop… mais première réussite du film : Audiard évacue tout pathos évident en enchaînant rapidement sur sa relation avec un père célibataire, Ali (Matthias Schoenaerts), d’abord videur de boîte de nuit puis boxeur clandestin, paumé avec son fils, Sam. Cotillard et Schoenaerts jouent parfaitement juste – tout comme les orques, d’ailleurs – et leur histoire d’amitié et de sexe fait d’eux un duo crédible et émouvant, qui rappelle assez celui de Vincent Cassel et Emmanuelle Devos dans ‘Sur mes lèvres’ (2001).

On le sait, Jacques Audiard a une patte, des thèmes (la marginalité latente, l’illégalité, le handicap, la rédemption) et un style où les mouvements de caméra savent être vifs, urgents, et en même temps précis au millimètre, les acteurs surprenants et convaincants, le scénario à la fois riche et sec (rien n’y est inutile). Où tout concourt à un réalisme prenant, sans artifices et pourtant soigneusement exact. C’est l’une des choses passionnantes de cette adaptation de deux nouvelles de Craig Davidson par Audiard : exempt de toute théâtralité lourde, son réalisme sait insister sur des détails d’une crédibilité qui parvient à renvoyer le spectateur à son vécu, à sa propre intimité (un silence, la tournure d’une conversation, un geste).

Aussi ‘De rouille et d’os’ pourrait-il être sous-titré « De langue et de corps », caractéristiques déjà récurrentes des films d’Audiard : d’une part, ses dialogues témoignent d’un rapport à la langue telle qu’elle vit, évolue, s’invente, où une expression du monde de l’entreprise (« être opé ») peut devenir un code de disponibilité sexuelle. D’autre part, les corps – que ce soit celui, musculeux mais bedonnant de réalisme, de Matthias Schoenaerts, ou celui, mutilé, de Marion Cotillard – sont filmés crûment dans ce qu’ils ont de proche, de direct, de beau parce qu’imparfaits.

Pour le dire vite, le style d’Audiard pourrait être la synthèse d’un puissant réalisme contemporain et d’un classicisme rigoureux de la narration (dont on se garde ici avec bienveillance de dévoiler la suite), qui fait mouche à chaque fois. Certes, sa qualité n’est pas une surprise, et ‘De rouille et d’os’ n’a probablement pas l’incomparable densité d’'Un prophète’ ; mais il reste un film d’une richesse et d’une maîtrise rares, servi par un épatant couple d’acteurs et de très bons seconds rôles (Céline Sallette, Corinne Masiero ou Bouli Lanners). Bref, clairement au-dessus de la mêlée.

Écrit par AP
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