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Le Sommeil d'or

  • Cinéma
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Le Sommeil d'Or
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Time Out dit

3 sur 5 étoiles

Culturellement, il est parfois vertigineux de considérer la quantité des œuvres oubliées, disparues, détruites… De se dire que les livres, déjà innombrables, rangés parmi les rayons des bibliothèques ne représentent, en fait, qu'une infime partie de la création littéraire – ainsi quelque roman révolutionnaire gît-il sans doute au fond d'un carton dans un grenier abandonné… Jean Dubuffet parlait très bien de ces œuvres absentes – rappelant le 'Chef-d’œuvre inconnu' fantasmé par Balzac – dans son livre de 1968, 'Asphyxiante culture'. Dans le même ordre d'idées, on peut songer à Pessoa, à son immense malle remplie de textes, à 'La Bibliothèque de Babel' de Borges, ou à Verlaine décrivant de mémoire ce qui lui semblait le plus puissant poème de Rimbaud, 'La Chasse spirituelle', perdu à jamais.

Ainsi, le documentaire de Davy Chou, 'Le Sommeil d'or', aborde des fantômes de films dont aucune trace ne subsiste : ceux de l'âge d'or du cinéma cambodgien qui, entre 1960 et 1975, produisit plus de 400 longs métrages, bientôt systématiquement détruits par le régime Khmer rouge. Face à sa caméra viennent témoigner quelques rares survivants (un quart de la population ayant été décimée par le régime), dont d'anciens réalisateurs, producteurs, comédiens, ou simplement cinéphiles. Certaines scènes, travaillant la mémoire de ces œuvres perdues, se révèlent véritablement émouvantes. De même, de nombreux témoignages et images d'archives (notamment celles, totalement hallucinantes, de Phnom Penh vidée de ses habitants par l'armée de Pol Pot) rappellent l'ampleur de la barbarie des Khmers rouges, dans un travail historique parfois proche de celui de Rithy Panh ('S21', 'Duch, le maître des forges de l'enfer'…).

Il y a donc quelque chose de tout à fait poignant, souvent passionnant et hautement cinématographique dans le projet de Davy Chou. Dans sa volonté d'aborder, à la fois subjectivement et collectivement, l'histoire et l'imaginaire par le prisme du cinéma. Hélas, 'Le Sommeil d'or' se retrouve finalement avec un cahier des charges intenable, et le dispositif du film, essentiellement constitué d'entretiens face caméra, ne parvient pas tout à fait à développer la multiplicité de thèmes qui y affleurent. Film sur l'absence de film, ce documentaire aurait pu, peut-être avec davantage de moyens, interroger l'essence même du cinéma comme évanescence, lieu mnésique, souvenir sur pellicule d'un réel disparu. Mais ayant trop à dire, 'Le Sommeil d'or' finit par basculer, un peu nécessairement, du côté du reportage. C'est dommage. En même temps, cela reste un beau reportage. D'une profonde tristesse.

Écrit par Alexandre Prouvèze
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