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L'Etreinte du serpent

  • Cinéma
  • 5 sur 5 étoiles
  • Recommandé
L'Etreinte du serpent
DRL'Etreinte du serpent de Ciro Guerra
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Time Out dit

5 sur 5 étoiles

Sublime dérive sur le fleuve Amazone, hallucination hypnotique et contemplative aux confins de la folie, dans un noir et blanc envoûtant.

L’Amazonie est pleine de secrets. Forêt impénétrable au fleuve majestueusement impétueux, elle couve jalousement des mystères ancestraux et garde en son sein la richesse de cultures amérindiennes, loin des Blancs et de leur science. Une énigmatique profondeur que Ciro Guerra, jeune réalisateur colombien, sonde dans son dernier film 'L’Etreinte du serpent'.

Film que l'on pourrait définir comme un conte initiatique à travers la mémoire et l’histoire, mettant en parallèle deux voyages : celui d’un explorateur allemand au début du XXe siècle, et celui d’un ethnobotaniste venu une quarantaine d'années après celui-ci. Deux êtres en quête, cherchant à percer les mystères insondables de cette jungle. Ce double voyage rend compte à la fois de l’immensité de la culture amazonienne, et de la totale méconnaissance qu'en ont les Occidentaux. Mais aussi d’une impossible transmission des valeurs traditionnelles dans un monde moderne où le colon apporte le progrès en détruisant les fondements mêmes des peuples autochtones. Les deux voyages sont guidés par Karamakate, un vieux chaman à la puissance magique incomparable, dernier survivant de sa tribu, vivant totalement isolé dans la dense forêt. La solitude a fait de lui un « chullachaqui », un être dépourvu de souvenirs et d’émotions, incapable même de préparer le maté selon son rituel.

Entre traditions et questions contemporaines, Ciro Guerra mêle des mondes dont les rapports oscillent entre curiosité, méfiance et rejet. Cette confrontation à la fois douce et acérée est sublimée par le noir et blanc de l’image. Sous cette lumière contrastée et dichotomique, les nervures des feuilles s’aiguisent, la peau de l’Amérindien se dresse face à celle du « visage pâle », l’eau du fleuve devient un gouffre sombre et glissant, et le ciel n’est plus qu’un aplat ivoire, un au-delà pur. Dans une esthétique contrôlée et aussi magique que son propos, le réalisateur colombien nous fait traverser la forêt aux mille secrets dans un voyage hypnotique, où les plantes nous entraînent dans des hallucinations et où l’image est absolue.

Mystique et profond comme 'Dead Man' de Jarmusch, vertigineux et historique à l'image de 'Aguirre ou la colère de Dieu' d’Herzog, violent, fou et démentiellement éblouissant, 'L’Etreinte du serpent' se place parmi les grands films. Complexe par son sujet, riche dans son traitement et magnifiquement à la dérive, le long métrage nous emporte, plus puissant qu’un rite magique. 

Écrit par
Elise Boutié
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