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P'tit Quinquin

  • Cinéma
  • 4 sur 5 étoiles
  • Recommandé
P'tit Quinquin série Bruno Dumont Arte
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Time Out dit

4 sur 5 étoiles

On reproche souvent au cinéma français son caractère élitiste, son esprit de clocher et son étroitesse de vues. Un cinéma de fils et filles de, favorisant l'ego trip, les beaux quartiers ou à l'inverse le social bien-pensant, où les comédiens sont beaux et lisses, les réalisateurs classiques, les scénarios ennuyeux. Mais quand un cinéaste, Bruno Dumont, réalise pour la télévision une série en quatre épisodes totalement démente, à l'opposé de tout ça, il rencontre encore sur son chemin critiques acerbes et moues dubitatives. Si les journalistes ont dans l'ensemble fait un bon accueil à 'P'tit Quinquin', présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, d'autres pointent du doigt un soi-disant mépris pour la misère sociale et les gens du Nord, considérant l'utilisation de comédiens non professionnels comme une marque de dédain pour ce monde. 

C'est tout d'abord se méprendre sur le regard du réalisateur, qui présente de véritables personnages (et non des « gens du Nord ») aux spectateurs. Le choix de faire jouer des amateurs ne préside en rien à une soi-disant nature documentariste dans la série, qui à l'inverse fabrique une réalité burlesque, poétique et un brin surréaliste. De ce fait, Dumont moque son propre cinéma et renoue avec une tradition française plus iconoclaste, celle d'un Mocky des grands jours, lequel n'hésitait pas à mettre davantage en avant des « gueules » plutôt que de beaux acteurs. Comme lui, Dumont s'intéresse à ceux qui n'ont pas leur place au cinéma d'habitude : enfant au bec de lièvre, petit gros, handicapé mental, paysans durs au mal, voix bizarres et personnages secoués de tics. Ils sont tous exposés sans complaisance, qu'ils soient incultes ou racistes, mais sans cruauté non plus, chacun d'entre eux semblant basculer tour à tour de la grâce au vice, du bien au mal. Sentiment troublant pour le spectateur, attendri par P'tit Quinquin quand il étreint son amoureuse, et circonspect lorsqu'il le voit esquisser un sourire presque maléfique et poursuivre de son courroux un jeune Noir. Il existe une dimension christique dans la série, qui semble nous dire « pardonnez-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font ».

Pas de vision idéalisée de la campagne picarde donc, mais un tableau excessif, qui trouve des accents de vérité par la voie détournée de l'humour et de la dérision. 'P'tit Quinquin' décrit la Picardie comme le commandant décrit la peinture de nus flamande : « Vous savez Carpentier, ces grosses femmes à poil. » Sans chichis, les experts scientifiques parlent quant à eux du « cul de la vache », qu'ils ont éventrée en bonne et due forme. Car la série reprend les codes du polar - experts scientifiques, meurtre sanguinolent, triangles amoureux, funérailles, procureur faisant pression sur l'enquête - pour mieux les déconstruire dans un climat bon enfant, où se trouver au « cœur du mal » ne semble finalement pas si grave aux protagonistes. Certaines séquences offrent une gratuité rafraîchissante dans le comique, comme cette scène croquignolesque où les grands-parents de P'tit Quinquin mettent le couvert d'une façon peu commune, ou cette messe absurde évoquant un bêtisier des Deschiens plus qu'une satire sociale. 

Le spectateur se retrouve en fait au milieu d'une Fête des fous, de saturnales romaines sur la Côte d'Opale, version moderne de ces célébrations où la société marche sur la tête, quand les curés profèrent des insanités et les esclaves sont servis par les maîtres. Dans 'P'tit Quinquin', les enfants font mieux avancer l'enquête que les inspecteurs, les hommes d'église rigolent pendant un enterrement, les vaches semblent voler, l'innocent du village fait planer des soupçons de culpabilité. Visionnée en une seule fois, la série de Bruno Dumont contient des longueurs et des répétitions, qui n'entachent cependant pas sa qualité globale. On y rit beaucoup, on s'émeut parfois, on s'émerveille de voir les paysages s'accorder si bien aux personnages. La dualité au cœur du film, celle qui combine grâce et vice, imprègne si bien l'atmosphère qu'un trouble gagne les consciences à la vue de ces adultes enfantins et de ces enfants déjà corrompus. Bruno Dumont évoque d'ailleurs les gamins du film en ces termes : « Ce sont de petits adultes, il y a déjà quelque chose de mauvais en eux. »

Écrit par Emmanuel Chirache
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