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Le Dos rouge

  • Cinéma
  • 4 sur 5 étoiles
  • Recommandé
Le Dos rouge
UniFrance
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Time Out dit

4 sur 5 étoiles

Fiction lorgnant habilement vers le documentaire, sur les thèmes de la recherche en art, du double et du monstrueux, Le Dos rouge étonne et envoûte par son originalité.

On savait déjà Bertrand Bonello cinéaste esthète et musicien touche-à-tout (avec son album Accidents en 2014), le voici désormais acteur, dans ce docu-fiction qui le voit interpréter un réalisateur travaillant sur le thème de la monstruosité – tandis qu’une étrange tache rouge colonise peu à peu la surface de son dos. Un scénario teinté d’étrangeté qui permet avant tout au réalisateur de ce film, Antoine Barraud, de jouer sur la figure du cinéaste Bonello, au gré de mises en abyme ludiques et de variations autour des thèmes récurrents du réalisateur de Saint Laurent : le questionnement esthétique, la grâce dans la perte de soi, le corps et ses mutations, le travestissement, l’ambiguïté sexuelle ou une certaine fascination pour la féminité – notamment chez les hommes.

En pleine recherche pour son prochain film, un cinéaste, Bertrand donc – car c’est aussi le prénom du personnage de Bonello dans le film – rencontre à intervalles réguliers une mystérieuse historienne de l’art, Célia (interprétée tour-à-tour par Jeanne Balibar et Géraldine Pailhas), afin d’affiner ses connaissances sur la représentation picturale de la monstruosité. Au fil de leurs rencontres avec des toiles du Caravage, de Gustave Moreau, de Francis Bacon ou du méconnu Léon Spilliaert – auteur d’un fascinant Autoportrait évoquant à la fois Le Portrait de Dorian Gray et Le Cri d’Edvard Munch – Bertrand s’interroge, débat, se remet en question. Durant son interminable chasse aux monstres, lesquels semblent prendre vie sous son regard appuyé, le protagoniste traque également les femmes, autres créatures énigmatiques dont la dualité lui échappe. Musicien, il accompagne parfois, sur un étrange synthétiseur à mi-chemin entre la harpe et l’instrument-jouet, les improvisations vocales de Joana Preiss au téléphone (accouchant d'une formidable séquence en prise unique), quand il ne dérive pas en taxi à travers Paris, après quelque nuit de tendresse et d’orgie.

Elégamment maniériste et labyrinthique, Le Dos rouge surprend par son mélange de simplicité apparente, de fantaisie surréaliste, d'humour pince-sans-rire et de profondeur réflexive. Servi par une impeccable direction d’acteurs (Bonello y excelle particulièrement en double de lui-même) et une approche originale du processus créatif ou de l’histoire de la peinture, le film d’Antoine Barraud détonne par sa liberté et sa fraîcheur. Ce petit bijou polymorphe et singulièrement baroque, hypnotique et nimbé de mystères, interroge intelligemment notre rapport à l’art comme au réel, et nous plonge dans une douce langueur qu’il est difficile d’oublier. Une œuvre inattendue, étrange, drôle et inquiétante, tournée sur une durée de trois ans, qui restera certainement comme l’une des plus jolies surprises de ce printemps au cinéma.

Écrit par
Alexandre Prouvèze

Détails de la sortie

  • Durée:127 mins
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