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The Walk : rêver plus haut

  • Cinéma
  • 4 sur 5 étoiles
  • Recommandé
The Walk
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Time Out dit

4 sur 5 étoiles

On connaissait ‘Vertigo’, on a trouvé désormais son antithèse cinématographique : Philippe Petit. Ou l’absence totale de vertige pour ce funambule français qui a réalisé l’un des plus grands exploits du genre en traversant la distance qui sépare les Twin Towers. Si ‘The Walk’ prend la forme d’un biopic, Robert Zemeckis (auteur de ‘Roger Rabbit’, ‘Forrest Gump’ ou ‘Retour vers le futur’ dont on a beaucoup parlé récemment) fait en réalité d’une pierre deux coups. En filigrane derrière l’histoire du Français, c’est celle du World Trade Center que le cinéaste relate, celle de ces tours « inhumaines » comme le dit Philippe Petit en les découvrant, dont la disparition tragique plane au-dessus du film et rend leur présence encore plus forte.

Il faut distinguer deux, voire trois parties bien distinctes dans ‘The Walk’. Plus classique, la première s’attarde sur les débuts de Philippe Petit à Paris, sa rencontre avec ses « complices » et son apprentissage au sein d’un cirque, dont il ne veut singulièrement pas faire partie, par la force d’un orgueil qui le rend autant génial qu’insupportable. Des séquences où Zemeckis s’inspire des grands cinéastes américains ayant filmé Paris (Billy Wilder, Vincente Minnelli, Stanley Donen…), dans un mélange de carte postale et de tendre bienveillance pour une ville éminemment cinégénique. Au fil des minutes, le réalisateur installe avec son art si fin du storytelling les enjeux principaux de l’histoire : le « rêve » de Philippe Petit et surtout sa capacité ou non, via le symbole du salut, à faire preuve de gratitude envers le public et ses amis.

A cet instant du film, Zemeckis tente de passer subrepticement de la langue française, parlée par les comédiens français mais aussi les autres, comme Ben Kingsley et surtout Joseph Gordon-Levitt, à la langue anglaise. Les justifications paraissent souvent maladroites (« il faut qu’on passe inaperçus à New York ! »), mais on retiendra une volonté permanente de conserver un ancrage francophone, même à travers la musique. Voici donc Charlotte Le Bon, Clément Sibony (qui joue l’ami photographe Jean-Louis Blondeau) et Joseph Gordon-Levitt parlant tour à tour français et anglais entre eux, fomentant le « coup » du siècle du 6 août 1974.

Et c’est ici que ‘The Walk’ prend tout son intérêt. Il ne suffit pas de vouloir faire le funambule à 417 mètres du sol, encore faut-il préparer soigneusement son affaire. Or, tendre un câble entre les Twin Towers, dont la construction des derniers étages n’est alors pas totalement achevée, relève quasiment de l’impossible. Peu à peu, il n’est plus permis d’en douter : le rêve de Philippe Petit est le rêve d’un fou. Regarder ‘The Walk’ s’apparente soudain à l’entrée crescendo dans la démence et l’hybris d’un homme inconscient du danger de son entreprise. Par un montage habile et une mise en scène terriblement vertigineuse, Zemeckis ausculte cette folie en mouvement, et les longues minutes de préparation finales installent une tension aussi puissante que celle qui parcourt le câble reliant la tour nord et la tour sud.

Une fois cette mise en place effectuée, le film entre dans sa troisième et dernière partie, la plus belle. Maintenant qu’il n’a plus les pieds sur terre, le film flotte littéralement dans les airs. Il prend son temps, joue avec les nerfs et les émotions du spectateur. Qu’on salue la performance de l’artiste ou qu’on crie au fou, chacun ressentira intimement le moindre pas effectué par le funambule en chaussons sur sa corde. Au début de ‘The Walk’, Philippe Petit avait prévenu : il ne parle « jamais de la mort ». Mais c’est la présence invisible de la chute possible qui rend si belle la traversée, comme c’est la tragique destruction des tours qui rend si émouvants les derniers plans et les dernières paroles du film.

Écrit par
Emmanuel Chirache
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